jeudi 18 novembre 2010

Deathspell Omega - Paracletus





Groupe phare de la scène black metal française, Deathspell Omega frappe un grand coup avec Paracletus. Troisième album des poitevins, il marque la fin d'un cycle et clôt la trilogie entamée en 2004 avec Si monumentum requires, circumspice. Un dernier sacrifice, une dernière offrande comme point d'orgue, comme la sacralisation et la consécration de toute une attitude, toute une démarche d'expérimentation qui a produit certaines des plus belles pièces de black metal des 10 dernières années.

C'est avec Si Monumentum... que Deathspell Omega franchi un premier cap et pose la première pierre de son trône. Extrêmement violent, il laisse toutefois la part belle à des plages plus progressives, redéfinissant totalement la musique du groupe. Ambitieux, malsain, il lacère sur plus de 70 minutes tous les acquis de D.O, jusqu'à maintenant adeptes d'un black metal classique, de bonne facture mais pas folichon.

Son contrepoint, Fas - Ite, maledicti, in ignem aeternum, pousse encore plus loin les limites de la musique extrême en offrant l'album le plus possédé jamais produit par le groupe. Là où Si Monumentum explorait le rapport de l'homme à Dieu, Fas explore celui au Diable. Metal d'avant-garde, black metal expérimental, Fas a fait couler beaucoup d'encre et a mis en émoi un bon nombre de metalheadz obtus qui ne comprenaient pas vraiment ce qui se passait. Pourtant, le message était très clair : D.O s'éloigne du black metal, D.O s'éloigne de la sclérose de la fin des années 90's pour révolutionner, à l'instar d'autres hordes gauloises telles Spektr ou Blut Aus Nord, la musique extrême.

Après plusieurs EP et collaborations diverses, Deathspell Omega revient en 2010 avec Paracletus, synthèse et dépassement des deux premiers opus. Synthèse puisqu'on y retrouve la hargne dévastatrice et franche de Si Monumentum et le chaos incontrôlable de Fas. Dépassement car on sent une maîtrise dans les compositions, dans les structures, dans la production même, qui font de Paracletus une évidence, et ce dès la première écoute. Première constatation : les parties les plus ambient de Fas ont disparues. Le D.O nouveau est plus consistant et cohérent que son prédécesseur. Paracletus s'écoute d'ailleurs comme une seule pièce, certaines pistes se faisant écho tout au long de l'album.
 La production chaude et ample assimile parfaitement le fléau brutal mais varié de la batterie (ajoutant aux blast furieux des relents presque jazz fins et ouvragés) avec des guitares cristallines et des arpèges malsains rappelant les dernières saillies de Virus. Le riffing brille par son intelligence et sa finesse, en faisant un des atouts majeurs de l'album, sûrement le plus mélodique du groupe. La basse, prédominante, repousse encore un peu plus le spectre du black metal traditionnel, et confère à l'album une étrange chaleur malade et fiévreuse.
Les syncopes et soubresauts épileptiques de Fas sont amalgamés, absorbés dans un mouvement ample et naturel permettant de passer d'instant purement carnassiers et linéaires à des mid-tempo rompus sans perturber le moins du monde.
Le chant quant à lui joue sur la puissance d'évocation des hurlements typiquements black metal et d'un spoken-word français âpre et théâtral, seyant parfaitement à l'atmosphère de l'album.

Il souffle sur ce disque un vent de folie et de détresse encore jamais atteint par Deathspell Omega. Plongée à l'aveugle dans des profondeurs perverses, Paracletus parachève une trilogie de manière majestueuse, faisant du groupe français un jalon, un groupe charnière, crucial dans l'histoire de la musique extrême.


mardi 9 novembre 2010

Suuns - Zeroes QC



Suuns - Armed For Peace by thelightcarrier

Je suppose qu'un groupe de jeunes canadiens sensibles en chemises à carreaux, de nos jours, n'est pas ce que l'on pourrait appeler une surprise. Je suppose qu'œuvrer dans un registre mariant pop, rock, electro n'est pas à proprement parler aventureux. Le premier atout de Suuns, c'est ce label indé, Secretly Canadian responsables des excellents I Love you But I've Chosen Darkness. Leur deuxième atout, une petite renommée acquise suite à leur premier EP, sorti alors que le groupe se nommait encore Zeroes. Troisième atout, Jace Lasek, tête pensante de The Besnard Lakes (responsables d'un album post-rock remarqué cette année, The Besnard Lakes Are the Roaring Night) est aux manettes. 

Pop, rock et electro. On sentirait presque d'ici l'infâme relent d'un genre bouffi aux guitares saccadées et aux synthé racoleurs, on pressentirait sans effort la facilité des déhanchements binaires un peu putassiers martelés par toute une génération new rave/post-punk de dancefloor qui n'a trouvé comme seul salut que le suicide (le morbide chef d'oeuvre qu'est Hidden par These New Puritans).  L'expérimentation comme unique sortie de secours d'un genre au bord de l'implosion, un bon motto que les canadiens de Suuns semblent avoir fait leur. Mécanique, leur rock décharné se dote de tentatives bruitistes en tout genre en conservant néanmoins la fièvre rock originelle, le bruit des guitares, l'essence de la basse. Les mélodies pop, portées par le chant, se dissolvent dans les chœurs lancinants pour qu'il n'en reste que l'écho, inquiétant et incertain. Suuns se révèle au fil des écoutes comme l'expression d'un post-punk maltraité, un fragile assemblage qui brille par ses expérimentations les plus assumées (le noyau Pie IX, Marauder, Sweet Noting) ses hymnes menaçants (Armed for Peace, Gaze) et trébuche quand il retombe lourdement dans le bourbier piètrement dansant des machines (Arena, titre frontière, à la fois mélodiquement parfait, mais tristement répétitif et peu ambitieux).

Ne nous laissons pas aller au triste éloge de l'expérimentation (pas forcément gage de réussite) mais saluons plutôt le talent d'une (jeune) formation qui sait redessiner, sur un calque rock commun, une musique aux contours plus troubles et pas des moins intéressantes.

mardi 2 novembre 2010

Cough - Ritual Abuse / 2010



On continue dans le sludge/doom avec le dernier album de Cough. Après un Sigillum Luciferi bon mais encore trop fragile, Cough revient avec un monolithe de stoner doom qui suinte Electric Wizard de Dopethrone, avec un don pour le riffing forcément inspiré par le Malin en personne (la seconde piste, A Year in Suffering,  est une des meilleures choses qui soient arrivées au headbang depuis des années). Old Electric Wizard donc, mais avec une production bien particulière, beaucoup plus chaude, enrobante, étouffante presque. Les soli psyché sont excellents, et l'album dans son ensemble est plus travaillé que son prédécesseur. Ritual Abuse ne se cantonne pas au restrictif terrain de jeu stoner doom et explore les recoins d'un rock spatial léthargique mettant en avant des arrangements jusqu'à lors minimes. Le chant alterne entre déchirements typiquement sludge et chant clair, apportant un relief et une dynamique appréciables aux 5 titres du Rituel. L'atmosphère est bien plus sombre et pesante que celle que nous livrent aujourd'hui les anglais d'EW, ici la messe noire n'est pas sortie d'un porno rital 70's mais bien, comme les mecs du groupe l'expliquent, de leur propre souffrance. Sad doomster is sad.
Ritual Abuse est le versant violent et destructeur du Black Masses chroniqué ci-dessous et vient rassasier les amateurs de sombre violence restés sur leur faim après le dernier Electric Wizard.

Un petit extrait pour vous mes chéris :

Cough - A Year In Suffering by thelightcarrier

Electric Wizard - Black Masses / 2010

 
Comme le disaient fort justement les connards de Beyond the Noize , Electric Wizard depuis Dopethrone n'a plus grand chose à dire, si ce n'est pousser à son paroxysme cet univers Weed, Necroporn & Witchcraft en enchaînant avec une certaine aisance et une facilité presque paresseuse des hymnes enfumés. L'esprit 70's analogique un peu crado, déjà présent sur le précédent effort Witchcult Today, se fait ici sentir encore plus vigoureusement. Les guitares massives sont défoncées au fuzz et le chant bien particulier de Jus Oborn nous parvient des profondeurs les plus inquiétantes de la Crypte de Drugula. Pourtant EW évolue, à son rythme certes, le rythme pesant d'une bande de doomeux, mais les anglais avancent. Black Masses est nettement plus emballé, plus vif et EW affine son art du groove heavy as fuck. Le riffing, bien que toujours simpliste semble plus réfléchi et les soli sont techniquement plus élaborés qu'avant. On peut regretter l'époque bénie des hymnes de 15 minutes, plus lents et lourds que jamais (encore qu'une des meilleures pistes de cet album, Satyr IX, n'ait pas à rougir face à ses glorieuses aïeules) mais ce serait nier l'évidence : Electric Wizard a creusé son propre chemin, celui qui mène au panthéon du metal. Massif.