mardi 27 mars 2012

Maska Genetik - Strada





Si vous vous équipez d'une torche et d'un harnais, vous pourrez descendre en rappel dans les profondeurs de foetusfoetus afin d'y trouver des traces de mon amour inconditionnel pour Galakthorrö. Ce label allemand fondé en 1993 par Monsieur et Madame Arafna explore les méandres de l'indus et du power-electronics avec une exigence rare. On y trouve évidemment Haus Arafna et November Növelet, les deux projets du couple, mais aussi Herz Jühning, Karl Runau, Subliminal et donc Maska Genetik.

Tous ces projets semblent en fait décliner la musique de la maison Arafna. Ce power electronics à la fois charnel et mécanique, scientifique et organique, cet indus faussement serein qui vire au noise sans qu'on s'en aperçoive. Tout ce mélange étrange façonne depuis 20 ans l'identité du label qui tient en fait plus du collectif que de la maison de disque. C'est d'ailleurs en entendant les premiers travaux de November Növelet qu'Amon Radek raccroche sa basse et se lance dans Maska Genetik.

Après Quarantine, son premier EP sorti en 2006, on avait un peu fait une croix sur le projet moscovite. Le label laissait entendre que le Russe avait tout arrêté, que cette pop électronique angoissée l'entraînait sur de bien sombres chemins et que pour survivre il avait simplement arrêté la musique. #ambiance

Strada n'est donc pas à proprement parler un nouvel album mais plutôt un recueil des derniers morceaux de Radek (ainsi que de quelques pistes plus anciennes, précédant Quarantine), n'ayant jamais vus le jour, retenus dans les tiroirs par le perfectionnisme total de leur créateur. Heureusement pour nous ces 12 morceaux osent ramper vers la lumière et venir nous serrer dans leur petits bras glacés.

Pas de surprise à l'écoute de Strada, l'empreinte fantômatique du couple Arafna est plus présente que jamais, dans les larsen parasites, le phrasé scandé, les basses mécaniques et redondantes. On perd cependant le versant le plus pop de Maska Genetik pour un résultat plus sombre et torturé qui tient plus des morceaux indus bruyants de Haus Arafna que de November Növelet. Malgré tout, et c'est là le génie des projets de Galakthorrö, le bruit et l'horreur mènent à la danse, à la lente ondulation d'un para-militaire mélancolique en cagoule de cuir qui aurait pris trop d'antidépresseurs. (Si ça te donne pas envie.)

Cet album est le premier et sans doute le dernier d'Amon Radek, et c'est très bien ainsi. On saura se contenter de ce superbe morceau de charbon.


vendredi 23 mars 2012

Circle of Ouroborus - The Lost Entrance of the Just




Il y a un peu moins d'un an, Circle of Ouroborus avait suscité pas mal d'engouement avec leur étrange Eleven Fingers, album trouble et vaporeux esquissant tout en retrait et en finesse un post-punk sombre et mélodique, sorte de pendant expérimental de la musique de Hateful Abandon.


The Lost Entrance of the Just marque d'entrée sa filiation avec son prédécesseur en filant sa production nébuleuse ce qui confère de nouveau à la musique du groupe une aura de dream-pop cauchemardesque et désarticulée. Post-punk et black metal sont désossés pour ne devenir qu'un drone lointain sur lequel s'acharne un chant filtré et distant. Ce chant clair quelques fois atonal dévie parfois en cris déchirés et vient parfaire le sombre tableau qu'est The Lost Entrance of the Just.

Malgré la sensation de distance et de repli sur soi que dégage la musique de CoO, il en émane une attirance mystique. Derrière le drone, on distingue des semblants de structures et de mélodies pop qui nous raccrochent au wagon, qui ouvrent la musique en creux sur les grands espaces, sur un black metal cosmique, mille fois ralenti.

Circle of Ouroborus est bien plus qu'un ersatz de Joy Division en corpsepaint. Leur musique séquestre l'ampleur céleste de Wolves In The Throne Room et la réduit, la contraint dans un cerveau comateux. Elle passe le chaos musical de Virus au filtre d'une transe froide et mécanique.

Le groupe parvient à éviter la redite sans pour autant trahir ses partis pris artistiques, en poursuivant une voie sauvage, inexplorée, et passionnante.




(Filez donc voir le travail monumental du label Handmade Birds qui nous donne en mini-exclu le morceau sus-embedded, et n'hésitez pas à leur acheter tout ce que vous y trouverez.)

mardi 20 mars 2012

Arms of Ra - Unamed



Premier véritable album des Parisiens d'Arms of Ra, Unamed fait pourtant déjà preuve de maturité. Sûrement parce que ça fait pas mal de temps maintenant que les mecs peaufinent leur style. C'est donc un AoR changé qui entre dans l'arène, moins charnu, moins rond, un AoR au régime qui a perdu en graisse sludge pour aiguiser un post-hardcore violent et sombre plus perçant.

La prod est limpide, le chant et les guitares gagnent en finesse et en acidité, avec juste ce qu'il faut de crasse pour faire ronronner la basse. Les compo en elles-même sont réfléchies et loin d'être linéaires. On est face à de longs morceaux riches en rebondissements qui ne tombent jamais dans la complexité gratuite. Disons simplement que les mecs ont travaillé leur metal pour nous sortir 6 titres de qualité égale, sans bâcler le cœur de l'ouvrage. C'est d'ailleurs sur l'avant dernier titre, alors qu'on pourrait commencer à un peu se faire chier, qu'Arms of Ra lâche un Write my name and forget it fiévreux (mon petit morceau préféré hihihi) qui bouleverse le metal du groupe en y injectant une dose de screamo fort à propos.

J'ai longtemps cherché un défaut à Unamed, et je pense avoir trouvé. Paradoxalement, ce petit bémol est aussi ce qui fait de ce disque une réussite : il est tourné de trois-quarts vers le passé. Je pense parfois à Unsane, à la fin des 90, au screamo et au hardcore du début des années 2000, sincère, intelligent, mais aujourd'hui noyé par la vague noire de groupes ronflants baignés dans le black metal. Arms of Ra, en maintenant un cap quelque peu désuet, parvient en fait à sortir du lot et à se faire remarquer. Me gusta.

Ça sort sur Swarm of Nails et ça s'écoute/achète/télécharge gratuitement :


mardi 13 mars 2012

Lunar Aurora - Hoagascht




Continuons si vous le voulez bien à explorer les marges du black metal, les chemins déviants qui finissent toujours à un moment ou un autre par retomber sur les pistes enneigées et les accords mineurs saturés venus de Norvège. Lunar Aurora ne sont a priori pas à classer dans ces groupes rôdant autour du black metal. Ils ne sont pas autour, mais en plein dedans. Les allemands explorent depuis 17 ans maintenant  un BM intelligent et travaillé certes, mais loin des écarts post-rock ou post-punk dont j'ai parlé ici ces derniers temps. Le dernier album pourtant vient un peu changer la donne.

Cinq ans de silence séparent le furibond Andacht du tout frais Hoagascht, 5 ans durant lesquels la musique de LA a évolué et s'est décidée à emprunter ces chemins déviants. Le black metal teuton s'est défait de ses attributs les plus violents, le batteur a renié les blast beat pour se convertir avec ferveur au culte d'un mid-tempo mieux à même de servir le penchant plus atmosphérique développé sur Hoagascht.

La ferveur et la violence black metal sont toujours là mais distillées de manière intelligente. Les intro forestières ( avec cris de chouettes, orages qui tonnent, torrent qui coule, la totale quoi ) sont souvent accompagnées de discrets synthétiseurs qui (c'est pour moi à chaque fois une surprise) ne tranchent pas avec le côté organique de la musique. Discrètement, ces synthé redéfinissent l'univers de Lunar Aurora, hantent les compos et enrichissent un peu les atmosphères travaillées de ce dernier effort. (Voir plus bas la magnifique entrée en matière de Im Gartn). On aurait presque aimé en entendre plus de ces synthé, quitte à renforcer un peu un feeling indus sous-jacent, mais ç'aurait été au risque de s'enfermer dans une recette stérile et de livrer un album prévisible. Or Hoagascht est tout sauf prévisible, oscillant entre beauté mélancolique et fureur noire : un bon album maîtrisé et abouti.


samedi 10 mars 2012

Genocide Organ - Under Kontrakt




Ça fait maintenant 6 ans qu'on attendait du nouveau de la part de Genocide Organ, groupe majeur de la scène power electronics et adepte d'un death industrial des plus dérangeants. Ce projet mystérieux passé maître dans l'art de noyer l'horreur et l'angoisse dans les boucles masochistes indus et les nappes dark-ambient, revient avec Under Kontrakt, un concept-album dédié aux mercenaires de guerre.

Impossible de parler de GO sans évoquer cette petite réputation sympa de gros nazi para-militaires qui leur colle aux kampfstiefel. Eh bien oui, Genocide Organ est un groupe extrême, de musique extrême, terroriste du son, fasciné par la guerre, la violence, ce qui contamine à la fois leur paroles, leur image, mais aussi leur musique. Tout auditeur assez intelligent saura faire la part des choses et apprécier le jusqu'au-boutisme de leur musique sans pour autant y voir un quelconque manifeste idéologique. Et pour les derniers réticents, lisez donc cette profession de foi du groupe, clé de lecture de toute leur œuvre :  

« We never say what we think, and we never believe what we say, and if we tell the truth by accident, we hide it under so many lies that it is difficult to find out. »

6 ans d'attente donc, pour arriver à un Under Kontrakt plus monotone que le précédent effort, In-Konflikt. Ici on serpente sur toute la gamme déjà bien maîtrisée par le groupe, entre expérimentations indus brutales de Throbbing Gristle et power electronics aux basses lancinantes que ne renierait pas un Haus Arafna dans ses jours les plus sombres. On perd au passage les rythmiques indus et métalliques présentes jusqu'à maintenant pour se lancer tête baissée dans les rouleaux grésillants et les incantations scandées ou murmurées. Le seul semblant de rythmique naît des pulsations sous-jacentes, larvées au creux des couches de sifflements suraigus. Paradoxe d'une musique répétitive et linéaire dans laquelle se passent énormément de choses. L'homme cynique et la machine implacable fondent et se défont dans un assaut perpétuel, une agression interrompue seulement par les oppressantes phases de dark-ambient que maîtrisent parfaitement les Allemands. En somme, Genocide Organ fait de la belle musique, ample, sauvage et libre.



mardi 6 mars 2012

The Drums - Portamento



Je vais essayer de ne pas prendre de chemins détournés pour vous parler du second album du trio (anciennement quatuor) de Brooklyn. Leur premier album sorti en 2010 était déjà un recueil lumineux de tubes indie-pop d'une évidence effarante. Déjà à l'époque le doux halo ensoleillé de surf-music se défaisait pour laisser apparaître une mélancolie (quelque peu larmoyante) remuant à la fois les Smiths, Joy Division et Gang of Four. Portamento, sorti en septembre dernier, est, si on en croit les ventes, passé un peu inaperçu. Et c'est un tort.

Portamento, à l'image de l'effectif du groupe, semble marquer un rétrécissement, un repli sur soi-même. Moins flamboyant et solaire que The Drums, il voit la noirceur des paroles du premier opus contaminer un peu plus la musique et l'ambiance générale. Vous ne trouverez pas de tube enjoué sur Portamento, pas de machine de guerre, du genre de celle qui passe bien dans une pub pour voiture. Sans tomber totalement dans la complainte lancinante, le trio parvient à équilibrer la pop enjouée de ses débuts et ce côté adolescent émo et très triste. Amours déçues, amis disparus, Portamento est un journal intime de teenager, énervant et cliché donc, mais aussi foncièrement vrai et touchant (on est tous passés par là.) La rebellion inhérente à l'adolescence trouve sa place dans la contestation de l'Église et de la religion, ce qui ne fait jamais de mal. #invertedcross #d4rk

« And I believe, that when we die, we die... »

J'ai dit que je ne prendrais pas de chemins détournés, alors voilà : cet album est un chef d'œuvre qui vient parfaire la belle ouvrage de son prédécesseur. Chaque piste porte en son sein un petit drame, une grande affaire qui se joue dans un détail, un sifflement, un basculement synth-pop ou l'apparition d'un saxophone.
Quand on en vient à parler de pop, mon critère premier repose dans l'évidence des morceaux et des mélodies. Pas leur simplicité mais plutôt cette sensation d'avoir écouté l'album toute notre vie, et ce dès la première écoute. Le premier album des Smiths en est un bon exemple, tout comme l'est le premier album des Strokes. Rajoutons donc à cette liste le dernier album de The Drums (et aussi le premier tant qu'on y est).