Aurait-on enfin trouvée la perle des années 00 ? Le porte-étendard de toute une génération ? Bercés par le kitsch des 80’s, sevrés par les mutations des 90’s, nous voilà enfin adultes, prototypes bancals, update continuelles, nous voilà résidents d’un monde que l’on ne comprend plus vraiment. Il nous fallait quelque chose à quoi nous rattacher, nous rappeler qui nous sommes et où nous sommes. Richard Kelly nous l’a offert, discrètement, trop peut-être, à tel point qu’il faut attendre la sortie en DVD de Southland Tales pour qu’enfin la presse commence à percevoir l’étendue de ce projet-monstre, ambitieux, saturé et complexe.
Impossible de résumer quoi que ce soit. Ce film est un bordel inimaginable, une boursouflure cotonneuse et multicolore, un ample mouvement qui tente de saisir sur fond d’apocalypse, l’ambigüité, la beauté et les travers d’une Amérique post-9/11. Tentons tout de même une réduction sommaire de l’intrigue : un acteur body-buildé complètement flippé (Boxer Santaros) et une ex porn-star ambitieuse (Krysta Kapowski) ont écrit un scénario. The Power. Récit détaillé de la fin du monde, il s’avère tenir plus de la prophétie que de la fiction. Progressivement la frontière entre scénario et réalité s’atténue, les noms s’entrecroisent, l’action se dilate, on est perdu, les protagonistes le sont encore plus. Une myriade de personnages gravitent autour de nos deux acteurs : savants nerdy déjantés, terroristes néo-marxistes dangereux et ridicules, vétérans traumatisés par la Troisième Guerre Mondiale ; tout ce petit monde s’agite, suit son propre itinéraire, se bat, s’ébat, tous plus paumés les uns que les autres. Un vrai bordel je vous dis, un chaos sucré, presque trop lisse, malgré un trop-plein d’information, de données, d’images…
Car si l’on ne devait retenir qu’un terme, ce serait celui de « saturation ». Southland Tales est rempli à ras-bord, il se débat dans un maelström de médias, d’interactions constantes, de journaux TV, de clips (on peut penser à l’interface des premières minutes, aux multiples écrans, moniteurs, oreillettes et viseurs qui jalonnent le film). Kelly accumule les personnages, les esquisse brièvement puis se déconnecte et s’engage dans une voie opposée, il nous bombarde d’informations sans nous laisser le temps de digérer quoi que ce soit, surplus de signes, de symboles, de sens et de non-sens. Southland Tales ou comment faire tenir le capharnaüm d’une chambre d’adolescent dans un film de 2h30 : références cinématographiques, musicales, clins d’œil graphiques, tout y passe avec une étonnante facilité. Nous avons ici à faire à un film du « trop », une œuvre-monde affreusement ambitieuse et pourtant pour un peu que l’on se laisse emporter par ce tsunami atomique multicolore, on ne peut qu’en apprécier la richesse et les infinies possibilités générées devant nos yeux.
Vaste mouvement aérien sur notre époque, Southland Tales ne raconte rien mais dit tout. Sous couvert d’une certaine indifférence pop ensoleillée (l’action se déroule principalement dans un décor californien sorti tout droit d’un clip de R’n’B), toute la société des années 2000 y passe : consumérisme, terrorisme, paranoïa, drogues, violence, superficialité, absurdité, sexualité, amour, le tout teinté d’une mélancolie adolescente (déjà perceptible dans Donnie Darko, du même réalisateur). Apocalypse totale, c’est aussi et surtout la fin du sens, la vacuité sémantique de notre époque qui s’étend tout au long du film. A l’image des tatouages de Boxer Santaros (le yin et le yang y côtoient l’étoile de David) les signes perdent tout leur sens, Karl Marx devient une icône pop-art flirtant avec Marylin, le Grand Soir n’est qu’une farce désabusée en roue libre... Même le point culminant du film, cette fin du monde hallucinée, a lieu dans un camion de glace (conduit par le non moins halluciné/ant Christophe Lambert). On flirte constamment avec le niais et le surfait sans jamais tomber vraiment dans le ridicule. On peut être interloqué par les mimiques clownesques de Boxer Santaros, amusé par la team de freaks scientifiques et de nains en blouses de chimistes, mais cela ne dure pas. Très vite le film nous happe de nouveau par une nouvelle aberration graphique, une punch line bien sentie ou un clip budweiser light de Justin Timberlake.
Voilà Southland Tales, le fatras de notre siècle, mutant fragile, grosse bulle de chewing-gum au bord de l’implosion, mais avant tout un film esthétiquement parfait, ponctué de scènes de bravoure et qui méritera plus d’un visionnage pour en saisir toutes les subtilités.
Une dernière chose pour ceux qui seraient tentés de se laisser happer par le brouillard de Southland Tales : vous trouverez (si vous savez où chercher) 3 comics à lire avant de regarder le film, 3 chapitres (Southland Tales s’ouvre sur le chapitre IV) qui vous aideront sûrement à appréhender un peu plus cette somme arty, ce « happening post-moderne ».
publié initialement ici.
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